Description

Sur le banc

Un type est passé qui poussait un landau. Il avait une allure terrible, une classe, je sais pas moi, un charme. Le genre inatteignable, casé. Avec un landau. Il m’a fait un sourire en passant. Un sourire vraiment chouette, blanc, sincère. J’aurais pu croire que je lui plaisais. J’aurais pu croire. Sans le landau.
Je sentais que mon ventre faisait trois plis. J’avais beau me tenir super droite, respirer tout petit, rien à faire, ça faisait trois plis et puis c’est tout. Et en plus j’avais faim. J’étais foutue de ce côté-là. Déclassée. Alors vraiment, je suis sûre, même sans le landau, c’était pas possible. Pourtant, je savais que ça ne se voyait pas, j’avais une veste large. Mais quand même. C’est obligé que ça se voyait, quelque part, sur mon visage.
Le type est passé, et j’ai guetté des yeux le suivant. Deux femmes arrivaient en papotant. Ça ne m’intéressait pas. Je me trouvais odieuse de penser ça. Je me faisais l’effet d’une pute qui guette le client. Mais gratos. L’horreur.
J’étais partie pleine de volonté, genre « bouge ton cul ma vieille au lieu de te morfondre chez toi, c’est pas comme ça que tu trouveras quelqu’un ». Je suis venue me planter ici, dans le jardin public, ça a un côté romantique, plus qu’un bar ou la rue. Je trouve.
Draguer je peux pas faire. Ça demande trop d’assurance. Allumer non plus. De toute façon ça ne marcherait pas. On n’allume pas avec une veste large. Je suis foutue, là. Je suis foutue. Qui c’est que tu veux qui vienne me voir? Avec ma gueule. Avec mes complexes. Avec ma petite vie de misère et mes deux sous de jugeote. Qui c’est que tu veux qui aies envie de poser ses mains sur moi, sur ma peau flasque. Ça ne se fait plus de nos jours de faire l’amour dans le noir. Et en pleine lumière, moi, je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas me voir.
Je me suis dit « laisse tomber ma vieille, c’est pas pour toi tout ça ». Et j’ai eu envie de chialer tellement y’ a des filles moches qui trouvent des mecs. Mais ç’aurait été encore plus pathétique que je me mette à chialer de surcroît. Alors je suis restée là encore une bonne demi-heure à regarder les graviers. Et puis j’avais faim. Je suis rentrée chez moi, et je me suis avalé une grosse plâtrée énorme, histoire de me remplir de quelque chose.